Spleen, Les Fleurs du Mal, Baudelaire

Le texte:

Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que l'horizon embrassant tout le cercle
Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits;

Quand la terre est changée en un cachot humide;
Où l'Espérance, comme une chauve-souris,
S'en va battant les murs de son aile timide
Et se cognant la tête à des plafonds pourris;

Quand la pluie étalant ses immenses traînées
D'une vaste prison imite les barreaux,
Et qu'un peuple muet d'infâmes araignées
Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,

Des cloches tout à coup sautent avec furie
Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,
Ainsi que des esprits errants et sans patrie
Qui se mettent à geindre opiniâtrement.

- Et de longs corbillards, sans tambour, ni musique,
Défilent lentement dans mon âme; l'Espoir,
Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.

 

Introduction :

Situé dans "Spleen et idéal", quatrième poème intitulé "Spleen", composé en 1857, ce poème de cinq quatrains exprime la souffrance culminante, l'échec qui s'impose inexorablement au poète. Les thèmes de l'emprisonnement, de l'asphyxie détruisent industrieusement l'imagination, l'esprit et l'espoir du poète jusqu'à provoquer de délétères hallucinations.
Mal physique symptomatique d'une souffrance plus profonde, le spleen se présente ici sous la forme d'images morbides qui passent par les sensations visuelles et auditives.

La structure du texte correspond à la montée progressive de l'horreur et du désespoir jusqu'à proposer, au-delà de la crise ponctuelle, un constat d'échec plus général, l'échec d'une vie.

Nous étidierons d'abord cette structure originale, puis successivement:

  1. un double mouvement de rétrécissement (strophe 1)
  2. l'espérance emprisonnée (strophe 2)
  3. l'aggravation cauchemardesque (strophe 3)
  4. la crise et la défaite (strophes 4,5)

La structure

les trois premiers quatrains
Quand... X 3 (v. 1, 5, 9)
et que (v. 3,11)
le ciel
la terre
la pluie

3 subordonnées de temps
anaphore

3 étapes

circonstances à l'origine du spleen : aggravation, ciel/terre liés par pluie= emprisonnement absolu (prison)

 

quatrains 4 et 5
des cloches... sautent... lancent
de longs corbillards... défilent
l'espoir... pleure
l'angoisse.. plante

propositions principales

l'aboutissement de l'aggravation évoquée ci-dessus: la crise violente (str. 4) et l'anéantissement (presque la mort) (str. 5)
Strophes 1, 2, 3: l'emprisonnement progressif

1. double mvt de rétrécissement

v 1,2 enjambement renforce la pesanteur
ciel bas et lourd... pèse... sur... en proie deux épithète + verbe + préposition + expression qui marquent l'opression insistance obsessionnelle
comme un couvercle

comparaison familière

réduit l'espace, renforce l'étouffant
le ciel... sur... l'esprit correspondance extérieur/intérieur les effets "psychosomatiques"
l'esprit gémissant en proie personnification de l'esprit la victime désignée

pèse

présent de l'indicatif

action répétitive

v 3,4
et que...
2° proposition de temps
conjonction
aggravation 1par addition
ciel/ esprit -> horizon/cercle passage du vertical à l'horizontal écrasement, espace encore réduit
jour noir
plus triste que les nuits
oxymore +
comparatif et pluriel
à l'opression s'ajoute l'aveuglement
embrassant tout le cercle sens: prendre dans ses bras + personnification + tout (totalité) accentue l'impression d'enfermement

2. l'espérance emprisonnée

ponctuation de la strophe 2 (virgules v 5,6)

chgt de rythme, saccades

à l'image des mvts désespérés de la chauve-souris qui se débat

comme une chauve-souris

comparaison incise

syntaxe qui rompt le rythme
(cf ci-dessus)

s'en va battant et se cognant

construction du verbe aller + p.présents

souligne le mvt désordonné
strophe entière
terre -> cachot

une seule su. de tps + su relative qui la précise (où...)

impression visuelle d'une transformation asphyxiante

l'Espérance.. s'en va battant...et se cognant

personnification de l'espérance = allégorie

lutte inutile d'un espérance qu'on nous dit "timide"

chauve-souris
cachot, murs, plafonds
efficacité de l'image: on voit l'animal se cogner aux limites nombreuses de cet espace trop étroit + caractère inquiétant e la chauve-souris dans le bestiaire angoisses croissante, fuite vaine et desespérée (pathétique aussi), on pense à l'Albatros...
humide/pourris adjectifs dépréciatifs augmentent l'horreur

battant, cognant, tête

jeu sur les sonorités dentales et gutturales

soulignent une succession de chocs

3. l'aggravation cauchemardesque

v9/10

 

première sub. de temps

effet de rallongement

nvel étape de l'envahissement de l'univers du poète

v 9,10

immenses traînées
+ prison/barreaux

enjambement

+ image + cl prison

reprise du thème des strophes 1,2

la pluie

reprise du ciel baset lourd + fusion terre/ciel

accentuation de l'opression

et que...

2° proposition et gradation

souligne l'aggravation cauchemardesque

infâmes araignées

nouveau recours au bestiaire: insectes effrayants, hostiles + pluriel

contexte de la prison + cauchemard

peuple muet d'infâmes araignées 2 adj + 2 substantifs multiplicité, grouillement angoissant
prison, barreaux
au fond de nos cervaux
progression extérieur -> intérieur

de + en + angoissant

le spleen opère son industrieuse sape jusqu'au plus profond de l'être

Strophes 3,4: la crise et la défaite
4. le sommet de l'angoisse
strophe 4 propositions principales attendues après 3 subordonnées les circonstances précisément établies le poète va pouvoir laisser éclater la crise
tout à coup adv de temps la crise qui éclate brusquement
hurlement signe sonore expression du déchaînement
sautent avec furie
lancent
mvts extrêmes
Des cloches tout à coup sautent avec furie monosyllabiques ou dissyllabiques+
sonorités "t" "c"
rythme accéléré
scène d'hystérie (horreur du bruit, mvt incontrôlé)
cloches... ainsi que... des esprits errants fusion extérieur/intérieur confusion démente
qui se mettent à geindre opiniâtrement diérèse "opiniâtrement"+ fin assaut "gémissements" effets délétères secondaires: la crise semble passée mais ses effets perdurent de façon inquiétante
5. L'échec
"-" vers 17 coupure distanciation par rapport à la crise
et conj. de coordination lien strophes 4/5: une suite donc mais décalée: aboutissement et prise de conscience de l'échec
et de longs corbillards... dans mon âme 6/6 + 10 cortège funèbre au rythme lent + la mort
dans mon âme âme/lieu l'âme du poète est devenue un lieu dedésolation et de mort
l'espoir v 18 contre rejet mise en valeur: 2°étape, la défaite de l'espoir
L'espoir, vaincu, pleure trois mots successifs, sans plus decommentaire: brièveté, simplicité désespoir irrémédiable.
l'Espoir... pleure E majuscule +
personnification
souligne la valeur allégorique du mot
despotique
plante
drapeau
autorité, victoire un triomphe sans appel de l'Angoisse

l'espoir vaincu, pleure

l'angoisse atroce, despotique

5 syllabes

8 syllabes

l'Angoisse a écrasé l'Espoir
sur mon crâne incliné connotation de mort
+ position du vaincu
la défaite encore (soumission du vaincu)

Conclusion :

Les images horribles qui affectent tant le physique que le moral du poète nous permettent de préciser la notion de spleen: il s'agit d'une angoisse toute puissante qui triomphe de l'espoir et de toutes les tentatives d'évasion du poète (son idéal vaincu). C'est un mal physique qui provoque une angoissante claustrophobie; moral, il atteint toute les facultés de l'esprit; il est enfin métaphysique dans la mesure où il rend le poète incapable de trouver un sens à sa vie et le condamne à une prostration résignée et souffrante.