Le corrigé

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  1. Ecriture

  1. L’utopie est un apologue, c’est à dire un récit court et plaisant à visée argumentative. L’utopie c’est aussi l’élaboration imaginaire d’un système social ou politique idéal (comme nous l’avions vu avec " l’abbaye de Thélème "), c’est à dire que derrière le récit est visée une proposition politique ou sociale généralement accompagnée d’une critique (souvent implicite) de la société réelle. Pour répondre à la question il fallait donc montrer par l’analyse des choix d’écriture que ces textes vérifiaient ces différentes règles ! ! !
  2. Les textes A, B, C et D sont des récits imaginaires.

    Le texte A est descriptif mais correspond à ce que voit le héros en arrivant en Utopie comme nous l’indique le paratexte : " Le héros arrive en Utopie et décrit la ville qu’il découvre. " Le nom de la ville " Utopie " (du grec ou "non" et topos "lieu") dit suffisamment son appartenance à l’imaginaire..

    Le texte B raconte la vie du peuple Houyhnhnms découvert par Gulliver, célèbre voyageur et grand découvreur de pays imaginaires. On remarque les verbes d’action au présent " atteignent, reçoivent, vont " qui font progresser l’action. Le paratexte nous précise la nature des Houyhnhnms, ce sont des " chevaux extraordinaires ", ce qui dit assez que ce récit est imaginaire.

    Dans le texte C, Voltaire raconte, lui-aussi, la découverte d’Eldorado par Candide. Là encore le paratexte est explicite : " Candide…et son valet…arrivent dans un pays étrange ". La longévité des habitants " cent soixante et douze ans " suffit, entre autres invraisemblances, pour classer Eldorado dans les pays imaginaires.

    On pourrait, pour le texte D, se contenter du paratexte " Luc Froment… a créé une cité idéale ". Notons encore les nombreuses descriptions qui écartent toutes les caractéristiques inhérentes à la vie collective : " le vol avait disparu ; le crime devenait vide de sens ", disparues encore " les gendarmeries, les tribunaux, les prisons. "

    L’utopie se doit également d’aborder les thèmes de la vie humaine afin de critiquer l’existant et éventuellement proposer une alternative. Ainsi, More se fait urbaniste comme l’indique le champ lexical correspondant : " rues, trafic, constructions, façades, chaussée, jardin, maison etc. ", termes qui servent à l’élaboration d’un projet urbanistique. En outre, More critique implicitement le sentiment de propriété avec ses maisons " laissant entrer le premier venu " , il loue, enfin, l’émulation.

    Swift témoigne de l‘importance de l’amitié en consacrant à ce thème les lignes 4 à 14 et invente un pays sans l’influence du mal critiquant de manière à peine voilée les humains évoqués ici par les Yahoos.

    Voltaire présente un pays où la richesse est partout sans qu’elle suscite orgueil ou rivalités comme le montrent les nombreuses descriptions présentées avec la même tournure restrictive en forme de litote : " les appartements n’étaient que d’or ". Le philosophe critique aussi implicitement le colonialisme lorsqu’il rappelle que si ce pays a pu rester ainsi c’est parce qu’il a échappé à l’invasion des européens Enfin, la religion est présentée comme un bienfait également partagé entre tous : on est bien loin des conflits qui agitent la vieille Europe ! Une accumulation sert ici d’ellipse pour évoquer les autres thèmes abordés : " La conversation fut longue ; elle roula sur la forme du gouvernement, sur les mœurs, sur les femmes, sur les spectacles publics, sur les arts. "

    Zola est plus politique encore. Citons les thèmes présents : " liberté, équité, peuple fraternel, Ecoles, commerce, vol, argent, cupidités criminelles, héritage, crime, gendarmeries, tribunaux, prison, guerres , mensonges religieux, Vérité, justice " ; quel thème de la vie humaine peut avoir été oublié ici ?

    Ces quatre textes appartiennent enfin à l’utopie par les nombreux procédés de valorisation mis en œuvre afin d’idéaliser ces lieux imaginaires.

  3. Les " moyens de la valorisation " évoqués par la question faisaient explicitement appel à des procédés d’écriture précis. On pouvait donc par anticipation partir à la recherche de figures d’insistance, de vocabulaires mélioratifs, voire laudatifs, de tournures superlatives…
  4. Ainsi, le vocabulaire appréciatif est omniprésent dans les textes A, B et D. Dans le texte A, on note : " bien, bonne, admirablement, tel éclat, telle beauté, abondance, harmonie… " ; dans le texte B encore : " très pratiques, amis, courtoisement " ; dans le texte D enfin : " fraternel, admirable, bonheur, facile, fortune, solidarité, raison, bonheur universel, vérité, justice ". Le vocabulaire dépréciatif est parfois présent mais toujours accompagné d’une tournure négative ou d’un verbe qui le transforme en vocabulaire valorisant à la manière du " vol " associé à " avait disparu " chez Zola ou encore la mort qui arrive " sans aucune souffrance " chez Swift…

    A l’appui des termes mélioratifs, on remarque les tournures superlatives : " on concevrait difficilement… une occupation mieux faite[…] ", " une sollicitude plus grande " chez More ; " le plus savant des hommes, et le plus communicatif " " les plus riches lambris " pour l’Eldorado.

    Les accumulations nombreuses valorisent l’abondance généreuse de ces lieux imaginaires. Ainsi la variété des cultures en Utopie : " des plants de vigne, des fruits, des légumes et des fleurs… " (remarquer les pluriels) ; ainsi de l’énumération descriptive des matériaux précieux dans Candide, lignes 5 à 10 ; ainsi encore de la réconciliation des extrêmes chez Zola : " la conquête des socialistes de sectes ennemies, les collectivistes, les anarchistes eux-mêmes " (noter la gradation exprimée par " eux-mêmes "…

    On pourrait ajouter les tournures qui marquent l’intensité (" plus de " ; " tant " ; " tout " etc.)et les nombreux pluriels ainsi que l’a richesse et la variété des adjectifs qui traduisent tour à tour l’abondance, la beauté et l’harmonie.

  5. Les procédés de la valorisation sont aussi présents dans Parfum exotique de Baudelaire. Les adjectifs mélioratifs " sein chaleureux ; rivages heureux ; fruits savoureux ; corps mince et vigoureux ; charmants climats ", le paysage insulaire et exotique " rivages, soleil, île, arbres singuliers, fruits savoureux, port, voiles, mâts, tamariniers ", la variété des sensations agréables : " chaud, savoureux, parfum, chant ", tout ici contribue au bien-être du poète.

Pourtant, ce poème n’est pas une utopie ni un apologue. En effet, Baudelaire ne donne aucune visée argumentative à ce poème qui d’ailleurs doit son idéalisation aux seules sensations et en aucun cas à une quelconque recherche d’un modèle de société.

En outre, il s’agit là d’un rêve suggéré au poète par " l’odeur " de la femme qu’il aime. On note en effet le paradoxe de la première phrase : " Quand, les deux yeux fermés […]/Je vois… ", paradoxe que seule la dimension onirique de la description peut résoudre. On remarque également à deux reprises la suggestion olfactive : vers 1,2 " Quand…/Je respire l’odeur de ton sein… " et vers 9 " Guidé par ton odeur… " qui confirment qu’il s’agit ici d’une évocation purement sensorielle.

 

 

Commentaire composé

Depuis Thomas More et son roman Utopie, le genre du même nom a suscité de nombreuses vocations chez les écrivains soucieux de faire progresser la civilisation des hommes. On pense à " l’abbaye de Thélème " dans Gargantua de Rabelais, au " pays des Houyhnhnms " dans Les voyages de Gulliver de Swift ou encore aux " Troglodytes " de Montesquieu dans les Lettres persanes. L’élaboration imaginaire d’un système social ou politique idéal permet en effet à ces écrivains de proposer un modèle de société généralement accompagné d’une critique (souvent implicite) de la société réelle.

Voltaire, philosophe des Lumières trouve tout naturellement cette forme d’apologue lorsque dans Candide, en 1759, il veut nous faire entendre une critique de son temps et particulièrement des méfaits de la colonisation européenne dans le Nouveau Monde. Ainsi est né " Eldorado ", pays idéal éloigné des tourments de la vieille Europe. Le chapitre XVIII du conte philosophique raconte la découverte que font Candide et son valet de ce pays étrange.

Monde idéal, Eldorado surprend d’abord par le pittoresque et le merveilleux, par l’opulence, par tant de bienfaits qui conservent cependant pureté et simplicité aux habitants de ce pays imaginaire. En outre, confiant la parole à un vieil indigène plein de sagesse, Voltaire, philosophe autant que conteur, soumet au lecteur, à travers cette conversation, une critique sévère de la société du XVIII° siècle, bien réelle celle-là, à laquelle il appartient.

la porte n’était que d’argent 

les lambris des appartements n’étaient que d’or

l’antichambre n’était… que de rubis et d’émeraudes 

tournure restrictive " ne… que "

g

matériaux précieux

Luxe " naturel "

Simplicité des eldoradiens

une maison fort simple, cette extrême simplicité 

Répétition notion -> insistance

insiste sur le décalage

Ce sont d’abord les éléments du décor qui surprennent. Ainsi " la porte n’était que d’argent ", " les lambris des appartements n’étaient que d’or ", " l’antichambre n’était… que de rubis et d’émeraudes " ; le contraste est saisissant entre la tournure restrictive " ne… que " et les matériaux précieux évoqués : tout se passe comme si le peuple d’Eldorado ne faisait aucun cas de cette débauche de luxe renforcée par les parallélismes de construction et par la répétition. L’opulence naît de cette richesse considérée comme modeste. Voltaire insiste sur ce décalage en répétant qu’il s’agit d’un lieu modeste : " une maison fort simple, cette extrême simplicité ". La naïveté de Candide et le détachement des autochtones permet cette description paradoxale de laquelle s’impose d’emblée la dimension imaginaire du lieu.

sofa matelassé de plumes de colibri 

Invraisemblance, oiseau minuscule

l’exotisme de l’oiseau

extrême luxe

lieu imaginaire

L’exotisme du lieu confirme son caractère pittoresque et l’abondance qui y règne. Ainsi, ce " sofa matelassé de plumes de colibri " ne manque pas d’étonner l’européen qui lit Voltaire surtout s’il connaît l’autre nom du volatile appelé en effet " oiseau-mouche " en raison de sa petite taille. Outre l’exotisme de l’oiseau lui-même, sa petitesse laisse imaginer le nombre d’individus qui a pu servir à la réalisation d’un sofa ! Invraisemblance encore qui participe au pittoresque tout en confirmant la richesse du pays.

Pérou, Incas 

Références réelles et mythe en même temps

Renforce intérêt lecteur

Voltaire, soucieux du pittoresque, ancre néanmoins celui-ci dans une réalité géographique que les voyages en Amérique aux XVI° et XVII° siècles n’ont cessé de colorer des mythes les plus merveilleux. C’est le cas du " Pérou " et de la civilisation disparue des " Incas ", deux références que Voltaire ne manque pas d’insérer dans le discours du vieillard. Il se sert d’un mythe connu en Europe pour servir son utopie et séduire un lectorat très friand d’exotisme. L’opulence supposée de la civilisation inca sert tout naturellement le propos de l’apologue.

goût, ordre, travaillés, arrangé 

Critères esthétiques + travail

Valeur du travail > valeur mercantile

Cette opulence ne semble cependant pas tourner la tête aux habitants d’Eldorado (comme cela ne manquerait pas d’arriver à un européen !) qui gardent un détachement surprenant devant toute cette richesse. Outre la " simplicité " déjà évoquée, on note le peu de cas que font les autochtones de ces richesses. Plus précisément, il semble que des critères esthétiques plus que mercantiles président à l’arrangement du décor. Il est question de " goût ", d’ " ordre " plus que de valeur intrinsèque des matériaux utilisés. Notons encore les verbes " travaillés " et " arrangé " qui soulignent le travail accompli plutôt que la richesse déployée.

cailloux

Terme péjoratif

Désigne gemmes

Décalage culturel

Le vieillard dont les paroles nous sont rapportées au discours direct confirme cette distance, voire cette indifférence, pour les pierres précieuses : ne désigne-t-il pas ces dernières sous le terme générique de " cailloux ", terme dévalorisant pour l’européen mais conforme à la réalité dans un pays ou l’argent ne semble pas au cœur des préoccupations ! Après tout, la valeur marchande des minerais revêt un caractère arbitraire que Montaigne déjà soulignait dans Des cannibales lorsqu’il justifiait la préférence (sans doute pour des critères esthétiques) des indiens du Nouveau Monde pour un collier de verre multicolore plutôt que pour l’or.

Tout est là pour faire rêver le lecteur et lui faire croire, conformément au principe de l’utopie, que cette cité , où la vie semble se dérouler dans l’abondance et l’harmonie, est idéale et enviable. Mais ce bien-être a un prix que Voltaire ne manque pas de rappeler à ses lecteurs.

détruits, rapacité, fureur, tueraient 

Voc. Très péjoratif

violence

Critique sévère colonialisme

Plus sages, innocence, félicité

Voc. Mélioratif / contraste avec précédent

Voltaire a choisi son camp

le plus savant des hommes et le plus communicatif

superlatifs

Valorisation du vieillard : sagesse et raison

L’utopie se doit en effet de délivrer un message. Si elle donne à voir un cité idéale c’est toujours, plus ou moins explicitement, pour établir par comparaison les travers de la société réelle. Eldorado n’échappe pas à cette règle. L’opposition entre les européens et les habitants d’Eldorado s’exprime ainsi de manière explicite : il suffit de relever le vocabulaire dépréciatif qui décrit les manières d’agir des premiers : " détruits, rapacité, fureur, tueraient ", la violence des termes employés dit assez l’indignation de Voltaire face à un colonialisme sauvage ; qui sont les barbares, ceux que les européens nomment ainsi ou les européens eux-mêmes ? Le propos porte d’autant plus qu’il provient du discours d’ " un vieillard retiré de la cour qui est le plus savant des hommes et le plus communicatif", les tournures superlatives comme les adjectifs mélioratifs ne laissent aucun doute : Voltaire se range du côté de cette sagesse. Au contraire des européens, les habitants d’Eldorado sont valorisés : on les dit " plus sages ", ayant conservé leur " innocence " et leur "félicité ". Le contraste est saisissant : la raison a choisi son camp, Voltaire et le lecteur aussi.

rochers inabordables et précipices 

CL relief

insistance

Nécessité de se protéger d’un danger

abri

Terme positif, sécurisant

Le danger ? l’Europe !

Ils nous tueraient tous jusqu’au dernier 

Hyperbole

Effarement devant la barbarie européenne

Les " nations de l’Europe " sont ainsi explicitement désignées comme le danger, la menace qui risquerait de contrarier tant d’harmonie et de bien-être. Pour preuve, la topographie du lieu : ce sont " rochers inabordables " et " précipices " qui ont permis à  Eldorado de rester " à l’abri " du danger. L’insistance sur le relief hostile ou encore le choix du terme " abri ", sécurisant et positif, relègue une fois de plus le colonialisme au rang des fléaux. L’hyperbole " nous tueraient tous jusqu’au dernier " qui termine le discours du vieillard insiste encore sur l’effarement suscité par la barbarie des européens.

sortirent très imprudemment pour aller subjuguer une partie du monde et qui furent enfin détruits par les Espagnols 

1.l’adverbe dépréciatif

2.le verbe " subjuguer "

3." enfin " " détruits ".

l’imprudence de la démarche

la sottise de l’objectif

le terrible verdict

Une parabole de l’impérialisme ?.

Cette barbarie, l’Histoire d’Eldorado l’a conservée par la mémoire du sage. Le vieillard raconte en effet comment certains de ses ancêtres périrent par la main des européens. Ces Incas qui " sortirent très imprudemment pour aller subjuguer une partie du monde et qui furent enfin détruits par les Espagnols " . Ce récit ramené à une simple phrase semble un raccourci riche d’enseignement. On distingue nettement trois temps dans cette désastreuse aventure : l’imprudence de la démarche soulignée par l’adverbe, la sottise de l’objectif que connote le verbe " subjuguer " et " enfin " le terrible verdict exprimé par le verbe " détruits ". Si la sagesse consiste à comprendre le présent à l’aune du passé alors ce récit devrait faire réfléchir plus d’un européen sur la folie d’un impérialisme sans borne, sorte de mégalomanie à l’échelle des nations.

sofa matelassé de plumes de colibri

liqueurs dans des vases de diamants

 satisfit à leur curiosité 

Les éléments de l’accueil des " étrangers "

Tolérance et ouverture du vieillard

le vieillard reçut les deux étrangers 

Etrangers : Candide et Cacambo

Désignation volontaire : cf. ci-dessus

Mais Candide est européen et pourtant reçu de la meilleure façon. Voltaire insiste sur l’hospitalité des indigènes : on pourrait rappeler ici le " sofa matelassé de plumes de colibri " qui leur est proposé ou encore les " liqueurs dans des vases de diamants " ou même la facilité avec laquelle il " satisfit à leur curiosité " autant de comportements surprenants à l’intention de l’ennemi supposé. La phrase " le vieillard reçut les deux étrangers " semble résumer cet accueil. Voltaire choisit le terme " étrangers " pour désigner Candide et son valet comme pour mettre en valeur la tolérance et l’ouverture d’esprit du vieillard : les européens n’auraient-ils pas commencé par réduire les deux " étrangers " en esclavage comme ils le firent des serviteurs noirs " importés " en Europe ? Ce mépris de l’humain des européens s’exprime aussi dans le choix du verbe " détruire " pour évoquer l’extermination des Incas, verbe qui semble ramener ces derniers au rang d’objets.

 Je suis fort ignorant, et je m’en trouve bien 

paradoxe apparent

facilité d’intégration de tous à Eldorado

Candide ne jouait plus que le second personnage, et accompagnait son valet

Ordre inversé

hiérarchies sociales abolies

La critique de l’Europe est encore présente dans la valorisation d’Eldorado qui sous-entend, par comparaison implicite, la dévalorisation des européens. On a montré précédemment le détachement des eldoradiens pour les richesses marchandes : n’est-ce pas une incitation à plus de mesure en la matière s’agissant des us et coutumes de la Vieille Europe ? On note encore ce propos de l’hôte de Candide : " Je suis fort ignorant, et je m’en trouve bien " paradoxe apparent qui dit pourtant la facilité d’intégration de tous à Eldorado contrairement là encore à ce qui se passe en Europe. Les hiérarchies sociales semblent abolies naturellement et Candide lui-même en fait l’expérience : " Candide ne jouait plus que le second personnage, et accompagnait son valet. ", la négation " ne..plus ", l’adjectif " second " et le verbe " accompagnait " décrivent un renversement des valeurs explicites : pourquoi la naissance de Candide lui vaudrait-elle une valeur supérieure à celle de Cacambo ? Toutes ces différences participent à l’apologue pour faire ressortir les abus et les travers de la société du XVIII° siècle.

Voltaire met en œuvre ici tout son talent de conteur pour faire rêver le lecteur en lui présentant un pays d’abondance et d’harmonie où chacun désirerai sans doute vivre ; mais derrière le conteur, le philosophe n’est pas loin et la cité idéale devient bientôt miroir de l’Europe laquelle ne sort guère grandie de la comparaison. Le colonialisme sauvage des européens est explicitement dénoncé par Voltaire qui se sert du point de vue objectif du sage vieillard. En filigrane derrière cette critique principale, les allusions se multiplient pour souligner les travers de la France du XVIII° siècle.

L’utopie trouve tout naturellement sa place dans ce nouveau genre au titre éloquent qu’invente Voltaire : le conte philosophique. Celui-ci fonctionne en effet selon les règles de l’apologue : il s’agit de raconter simplement pour être compris du plus grand nombre, plaisamment pour susciter l’intérêt et d’instruire sans en avoir l’air. Le genre remplit sa mission au-delà même de ce que Voltaire espérait puisqu’on étudie plus que jamais les contes philosophiques tandis que d’autres genres plus " sérieux " comme le Dictionnaire philosophique, pourtant du même auteur, ne sont plus étudiés que par quelques savants.